20 juin 2006

L'excision au village

Il y a eu l'excision au village. D'abord, je suis un gars et je n'en connais pas beaucoup sur le sujet. Il existe de meilleures sources pour en connaître plus. Des livres par exemple. Par contre, je considère important d'au moins mentionner que
les femmes du village de Sirakoro sont excisées et qu'en février 2006, les jeunes filles du village ont été excisées.
C'est impossible de vous rendre une image parfaite du village avec les mots, car on ne peut pas tout raconter. Mais, taire l'excision, ça aurait été mentir. J'ai retardé le moment d'en parler parce que je ne savais pas comment l'aborder. En fait, c'est justement ce qui s'est passé : ma façon de l'aborder a changé.

J'avais et j'ai encore des lunettes occidentales. Avec cette vision, on peut produire une belle argumentation : non à l'excision pour telle, telle et telle raison. Au Mali, on a jasé, on a fait des rencontres. Peu à peu, j'ai découvert l'existence d'une autre paire de lunettes. Des lunettes africaines. Je les ai essayées. Pas assez longtemps pour tout voir, mais assez pour comprendre que ce ne sera pas un système d'argumentation construit sur des bases occidentales qui changera les traditions de Sirakoro. Il faut adapter notre discours.

Vous allez me trouver drôle, mais ça me fait penser aux mathématiques. Quand on commence l'étude de la géométrie hyperbolique, on découvre des cercles qui deviennent des droites, des droites parallèles qui se croisent et des triangles dont la somme des angles n'est pas 180 degrés. Afin de comprendre ces nouveautés, il faut d'abord accepter de modifier le dernier des cinq axiomes d'Euclide sur lesquels repose toute la géométrie conventionnelle. Les cultures sont comme les géométries. On ne peut pas comprendre l'autre culture sans sortir de la sienne.

Par exemple, on ne parle pas de sexe de la même façon là-bas. C'est un sujet tabou au Mali. Il faut savoir adapter son discours. On ne peut pas parler d'excision sans tenir compte de la culture et des traditions.

Le 8 mars 2006. Journée internationale de la femme. On profite de cette journée pour faire quelques échanges culturels. Nous devions préparer un plat typiquement québécois ...avec les moyens maliens. On a fait des patates pilées! Les villageois ont concocté des mets typiquement maliens. Nous avons rassemblé les plats. Les patates pilées sont parties très vite. Tout le monde étaient curieux d'y goûter. Toute la journée, les hommes devaient participer aux tâches quotidiennes des femmes du village. Je portais aussi le turban. Un truc qui n'est jamais porté par les hommes au village. Bref, brisons les petits tabous pour briser la glace...

Ensuite, Nako a pris la parole devant les femmes du village. Nako, c'est la Janette Bertrand de la région. Elle se promène de village en village pour discuter avec les femmes. Ce jour-là, elle portait une chemise d'un tissu déclarant en français et en bambara : "Ma fille ne sera pas excisée". Elle commença à parler au groupe de femmes. Les discussions étaient en bambara, alors j'essayais de lire sur les visages entre deux phrases traduites. Elle tourna autour du pot, aborda divers sujets, puis elle parla de l'excision. Les yeux des jeunes filles de 16, 17, 18 ans étaient fixés sur Nako comme si c'était la première fois qu'on leur en parlait. Comprenaient-elles les raisons de certaines douleurs ou des complications du dernier accouchement?














Sur la photo, Nako est la femme qui prend la bouteille d'eau. Nji, de l'ONG malienne Kilabo, est à sa droite. À sa gauche, c'est notre Tidiani, accompagnateur et traducteur du groupe. Le plat de patates pilées est en bas à droite. La photo a été prise le 8 mars au moment où commençait la discussion avec les femmes. Symboliquement, les hommes portaient le turban pour comprendre l'importance du rôle de la femme et pour rire un peu!

Au travers de la traduction, j'ai compris comment l'approche de Nako était adaptée au Mali. Elle intégrait les traditions et la culture dans son discours. Elle remettait en question la croyance que les femmes non excisée sont infidèles. Elle insistait sur le fait que l'excision ne sert à rien. Elle démontrait qu'on ne renie pas sa culture en ne faisant pas exciser sa fille.

Quoi qu'il en soit, il faut du temps et beaucoup d'énergie pour changer les traditions. Mais, ça se discute de plus en plus. Il y avait souvent des articles traitant de l'excision dans les journaux de Bamako.

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